Τα Καραμανλίδικα του Φάνη φιλοξενήθηκαν στην εφημερίδα Libération.
Γράφει η Maria MALAGARDIS Omonia-Monastiraki: le mythe de la taverne – LES DEUX VISAGES D’ATHÈNES (2/2) Dans un quartier livré au trafic de drogue et à la prostitution, un homme a ouvert un petit restaurant chaleureux. Peut-être un début de renouveau pour cette zone sinistrée de la capitale. «Goûtez-moi ça, c’est un régal !» invite Fanis en tendant par-dessus le comptoir une fine tranche de fromage fumé au basilic et à l’ail, coincé avec délicatesse entre son pouce et son index. «Il vient de Naoussa, sur l’île de Paros, où j’ai trouvé un petit producteur très prometteur», ajoute-t-il avec le sérieux d’un orfèvre. Dans le centre d’Athènes, l’étroit magasin de Fanis Theodoropoulos, 37 ans, ne désemplit pas. Malgré la crise qui frappe la Grèce depuis quatre ans, contraignant 180 000 petites et moyennes entreprises à mettre la clé sous la porte. Malgré la pauvreté et les 26% de la population (60% des jeunes) au chômage. Le petit business gourmet de Fanis, qui propose charcuterie et fromages à profusion, a traversé la tempête sans (trop) vaciller. Du matin au soir, les clients se bousculent dans son échoppe de la rue Euripide. Des clients dont les vêtements sombres, parfois usés, traduisent souvent l’appartenance à cette classe moyenne que l’austérité a précarisée. Mais, si les boutiques peinent à écouler leur stock, même en période de soldes, ceux qui peuvent encore se le permettre sont prêts à dépenser le peu qu’il reste dans leur porte-monnaie pour assouvir leur gourmandise. «Les gens achètent moins, mais ils aiment toujours ce qui est bon», croit comprendre Fanis. On ne trouve pas ici le tout-venant de la gastronomie bon marché et mondialisée du folklore grec. Ce qui explique certainement le succès persistant de ce petit commerce, que Fanis a hérité de son père, venu du Péloponnèse en 1965 pour s’installer ici, «à un quart d’heure à pied de l’Acropole». Ville fantôme Mais la vraie réussite de Fanis se trouve sur le trottoir d’en face, juste au coin des rues Euripide et Socrate : une petite taverne inaugurée il y a seulement huit mois, au décor de brasserie du début du XXe siècle, qui illumine le quartier. Il fallait une certaine audace pour ouvrir un lieu de dégustation, sophistiqué sans être onéreux, au cœur de la jungle urbaine athénienne. Une petite oasis qui sert chaque jour «plus de 120 couverts pour une vingtaine de tables. Et bien plus encore le samedi». C’était son pari ; aujourd’hui, c’est sa victoire. «Autrefois, c’était une épicerie, une sorte de bazar où l’on vendait de tout. Puis les Chinois l’ont rachetée, ils en ont fait un entrepôt. Ils ont tout cassé avant de fermer, j’ai mis cinq mois avant d’obtenir l’autorisation d’ouvrir un nouveau commerce sans prêt bancaire. Dans le contexte de crise que connaît la Grèce, les banques ne font plus crédit. Mais j’ai trouvé un associé, un producteur de Drama, dans le nord du pays. C’est lui qui fournit tous les produits pour la cuisine», raconte Fanis, qui rêvait depuis longtemps de passer à la restauration.
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L’épicerie de Fanis Theodoropoulos, rue Euripide, à Athènes.
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Quand, enfant, il venait traîner dans la boutique paternelle, le quartier avait bien sûr une autre physionomie : les petits immeubles érigés dans les années 50 et les vieilles villas néoclassiques abritaient alors une classe moyenne modeste, à peine débarquée de la province, voire de la campagne. Aujourd’hui encore, un Grec sur trois vit dans la région d’Athènes. Mais plus dans cette partie du centre-ville. Ici, entre la place Omonia et les rues commerçantes de Monastiraki, les façades des immeubles et maisons sont désormais aveugles. Volets fermés, portes cadenassées, rideaux de fer tagués à outrance : c’est une Athènes fantôme qui entoure le petit restaurant de Fanis. Hôtel borgne Le déclin du quartier est en réalité antérieur au début de la crise grecque de 2010, comme le signe avant-coureur d’un effondrement que personne n’a voulu voir. «C’est en 2004 que les gens ont commencé à partir. Trop de drogue, de criminalité, de prostitution, d’immigration clandestine aussi. La police était singulièrement absente. On a laissé la situation se détériorer. Aujourd’hui, plus personne n’habite ici, tous ces immeubles murés ont été transformés en entrepôts», déplore Fanis en observant d’un air rêveur la circulation de la rue. Une mélodie mélancolique teintée d’accordéon s’échappe d’un poste de radio dans sa boutique. L’ambiance a changé récemment. «Il y a un an, les gens n’osaient même plus circuler dans la rue, par peur de se faire arracher leur sac», rappelle Fanis. Mais, depuis, la mairie s’est finalement décidée à «nettoyer» le quartier, sans que personne ne sache ce que sont devenus les clandestins, les SDF et les toxicomanes qui en plein jour se piquaient sur le trottoir sans se cacher. L’hôtel borgne qui accueillait les prostituées africaines et leurs clients, au début de la rue Socrate, est désormais muré. La rue Ménandre, longtemps havre de tous les trafics, est à présent vide. Des escadrons à moto des forces de police Delta, souvent dénoncées pour leur brutalité, sillonnent parfois le quartier. Pourtant, il suffit de descendre deux rues plus bas, au coin de la rue Esculape, pour découvrir les dealers de coke et d’héroïne, ombres discrètes adossées aux façades silencieuses, non loin d’une petite mosquée clandestine. Les lieux de culte musulman n’ont jamais réussi à obtenir d’autorisation officielle, comme un déni supplémentaire des bouleversements qu’a connus la société grecque ces dernières années. Plus d’un million d’immigrés, dont la moitié de clandestins, vivraient en Grèce aujourd’hui, pour une population de 11 millions d’habitants. Autour du restaurant de Fanis, les grossistes chinois et pakistanais ont envahi la chaussée. «Un voisinage très cordial», selon Fanis, qui ambitionne de ramener les Grecs au cœur de cet îlot en ressuscitant une gastronomie ancrée dans le terroir et l’histoire. Sa petite taverne ne propose que des recettes inspirées de la Cappadoce, une région de l’actuelle Turquie, où la Grèce a d’antiques racines. «Le nom du restaurant, les Karamanlidika de Fanis, fait référence aux Karamanlides, des habitants d’Asie mineure qui ont dû tout abandonner pour revenir en tant que simples réfugiés dans une Grèce qu’ils ne connaissaient plus», rappelle le jeune restaurateur, évoquant les événements de 1922 que les Grecs appellent encore «la grande catastrophe» : l’abandon de la rive orientale de la Méditerranée sur fond de tensions greco-turques. «Certaines des recettes de ces réfugiés sont évoquées dans les récits d’Homère», assure Fanis en désignant un jambon cru macéré : le pastourma, qui a fait la réputation de son restaurant. D’après lui, les réfugiés grecs de 1922, sorte de pieds-noirs locaux, ont été aussi mal accueillis à l’époque que les immigrés actuels, ciblés par le parti néonazi Aube dorée. Lequel a profité de la crise pour prendre son essor. «Les mêmes causes produisent les mêmes effets : c’est chez les pauvres désespérés que les recettes simplistes et extrémistes trouvent un certain écho, d’autant plus que l’ignorance gagne du terrain : aujourd’hui, l’éducation est un secteur sinistré, abandonné par l’Etat sous prétexte de baisse des dépenses publiques», soutient cet homme marié, père d’un petit garçon. «Génération sacrifiée» Les mesures d’austérité imposées aux Grecs depuis quatre ans ont diminué drastiquement les salaires et les retraites de plus 40% en quatre ans. Dans des écoles, des professeurs précarisés qui gagnent moins qu’un Smic français font face à la «génération sacrifiée», comme on l’appelle en Grèce, celle qui n’a pour l’instant comme horizon que le chômage ou des petits boulots à 400 euros par mois. Pire encore, plus d’un tiers de la population grecque vit désormais sous le seuil de pauvreté. Et, pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, soupes populaires et distributions gratuites de nourriture ont fait leur réapparition à Athènes. Pourtant, tavernes et bars ne désemplissent pas dans la capitale, comme si cette convivialité restait le dernier refuge dans un monde qui s’est effondré. «Les peuples du sud de l’Europe ont toujours cultivé un certain art de l’insouciance que les politiques d’austérité ont voulu sanctionner, sans y parvenir tout à fait», constate Maria, la cuisinière en chef du restaurant. Cette Espagnole de Castille au regard pétillant est bien placée pour percevoir les destins parallèles de son pays d’origine et de son pays d’adoption. En Espagne, Podemos incarne désormais la volonté d’en finir avec la rigueur imposée par Bruxelles. En Grèce, Syriza, qui fut, comme son frère jumeau espagnol, un mouvement marginal avant de devenir un parti, est en tête des sondages pour les élections législatives de dimanche. L’arrivée de la gauche radicale au pouvoir serait une première historique en Europe. Pour mesurer les dégâts causés par la crise, les candidats de Syriza n’ont pas besoin d’aller bien loin : le siège du parti se trouve tout au bout de la rue Euripide, à l’angle de la rue Koumoudourou. «Les gens de Syriza viennent parfois au restaurant», souligne Maria, qui entend aussi les commentaires d’autres clients : «Il y a une appréhension, une peur. Ce parti n’a jamais gouverné ce pays où les mêmes politiciens se sont succédé depuis quarante ans. Les gens s’interrogent : faut-il risquer l’inconnu ?» explique-t-elle. Avant d’ajouter prudemment : «Il y a des recettes qui ont échoué, il faut peut-être en essayer d’autres.» La nuit est tombée, la rue s’est vidée, révélant à nouveau la misère sous le vernis de l’animation urbaine. Le restaurant aux vitres embuées ressemble plus que jamais à une petite lucarne dans les ténèbres. Photos Alexia Tsagaris Maria MALAGARDIS Envoyée spéciale à Athènes Omonia-Monastiraki : le mythe de la taverne – Libération.